Connotation positive ou escroquerie ?
Le quatrième article sur la thérapie systémique par Roch Du Pasquier
Roch du Pasquier est psychologue clinicien, psychothérapeute et formateur au Copes concernant la pratique de la thérapie systémique. Il écrira un article par mois pour Scope, le blog du Copes, dont celui-ci est le troisième. Le sujet de cette rubrique mettra en lumière la thérapie systémique, tant par son histoire que par ses concepts.
Connotation positive ou escroquerie ?
« Maître Corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage (… )
Et bonjour, Monsieur du Corbeau, Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau !
Sans mentir, Si votre ramage se rapporte à votre plumage, Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.»
La connotation positive est-elle une manipulation qui vise à extorquer un fromage ? C’est ce à quoi nous allons chercher à répondre maintenant.
1954 : Le psychiatre D.D. Jackson applique la découverte biologique de l’homéostasie au champ des thérapies familiales. Pour lui, la famille possède des mécanismes de régulation qui lui sont propres. Ces régulations ont pour fonction de maintenir le groupe familial à l’équilibre, de même qu’au niveau physiologique l’homéostasie maintient l’équilibre du milieu interne de la cellule malgré les variations de son milieu externe.
1974 : C’est avec la Théorie Générale des Systèmes qui se préoccupe des mécanismes d’homéostasie et de transformation, comme avec les avancées de l’école de Palo Alto, que l’équipe du Centro per lo studio della famiglia travaille à Milan. Les quatre années précédentes, l’équipe de Mara Selvini accueille les familles en utilisant les concepts psychanalytiques. Les années passent, l’équipe est de plus en plus en crise, les tenants de la psychanalyse affrontent ceux de la systémie et on ne s’entend plus. Ce sont des années très difficiles, raconte son fils, il y a des échecs frustrants. Les « problèmes de traitement s’entremêlent aux déchirements de l’équipe sur le choix du modèle théorique à adopter pour la recherche : rester fidèles à la psychanalyse ou étudier la pragmatique de la communication humaine et la théorie des systèmes ? »1 Il y a explosion et un groupe de quatre systémiciens se forme : M. Selvini, L. Boscolo, G. Cecchin et G. Prata. En 1974 ce groupe de chercheur-cliniciens va inventer la connotation positive : « Au cours de notre recherche, nous avons découvert un type d’intervention thérapeutique qui donne des résultats plus qu’encourageants, et que nous avons utilisés très précocement dans le cours de la thérapie; nous l’avons provisoirement baptisée connotation positive. Elle consiste à approuver tous les comportements du patient désigné et des autres membres de la famille, en particulier ceux qui sont traditionnellement considérés comme pathologiques. » Ils nous proposent une première réponse à notre problème de Corbeau escroqué par le Renard. Pour eux, la connotation positive n’est pas une manoeuvre, mais elle a permis de dépasser les limites d’une causalité moralisante de la psychiatrie traditionnelle.
Dans cette équipe, la connotation positive est une technique qui approuve la part intelligente du comportement de chacun pour la survie du groupe et le maintien de son homéostasie. Mais attention, il ne s’agit pas de quitter la désignation (négative) du porteur du symptôme par la connotation positive pour basculer dans la désignation des autres membres du système… Ah ! causalité quand tu nous tiens, il est plus simple d’avoir une lecture du monde. Non ! si l’équipe de Mara Selvini obtient des résultats avec les familles dont personne ne veut s’occuper, c’est justement parce qu’elle a compris la nécessité de valoriser les solutions de chacun des membres de la famille, même lorsqu’elles semblent délétères vues de l’extérieur. À Milan, l’équipe encourage les symptômes du patient désigné mais aussi les attitudes de ceux qui l’entourent. « L’expérience nous a fortement enseigné que toute critique ne produit d’autre effet que des rétroactions d’indignation et de refus, ou pis des manoeuvres dépressives du style « Nous avons tout raté », qui réduisent les thérapeutes à l’impuissance. » Redisons-le encore afin de mieux percevoir la force de la connotation positive et son rapport avec l’homéostasie : avec elle nous sommes alliés aux forces qui maintiennent l’homéostasie de la famille, et c’est en renforçant ces forces que nous favorisons le changement.
Si le corbeau disait : Le fromage qu’on me fourre dans le bec n’est pas bon mais je ne peux pas m’empêcher de le manger, que répondrait le systémicien ? Si tu ne peux pas t’empêcher de l’avaler, continue à le faire, ce doit être très important, ou, Je te félicite d’accepter de manger le fromage dont tes frères et soeurs ne veulent plus, ou, Peut-être qu’en mangeant un mauvais fromage tu protèges tous les autres ?… Il pourrait répondre de plusieurs manières, plus ou moins farfelues en fonction de son humour et de sa créativité, mais surtout il devrait répondre en fonction de ce qui se dit corporellement et verbalement pendant l’entretien. Quoi qu’il en soit, le but de la connotation positive n’est pas de piquer le fromage du Corbeau, chacun ses goûts en matière de fromage. J’entends d’ici un coeur de thérapeutes m’expliquer que la connotation positive court le risque d’une séduction. En quoi est-ce que de prescrire un comportement déjà présent dans l’attente d’en trouver un nouveau serait plus « manipulateur » ou « séducteur » que d’être celui qui sait, qui se tait mais n’en pense pas moins, ou celui qui dit : « Non, il faut arrêter ça ! » alors que cela ne fonctionne pas ?
La connotation positive a fait des petits. Plus récemment Guy Ausloos en a fabriqué une à sa main : la méchante connotation positive. Il utilise ses ressentis, ce qui le gène pendant l’entretien, et connote positivement ceux-ci. Par exemple, si les membres de la famille l’interromptent, sa méchante connotation positive peut devenir : « J’ai trouvé difficile que vous parliez tous à la fois, mais je vois là le signe que dans votre famille tout le monde veut participer à ce qui se passe et avec cela je peux travailler…2 » En plus de son attention à ses ressentis, ce qui n’est pas une spécificité systémique, Ausloos inverse les termes de sa proposition : il commence par l’énoncé du problème et termine par la connotation positive de celui-ci. Avec votre conjoint, vos enfants, vos élèves, vos patients, essayez…
Mais nous ne quitterons pas trop rapidement l’école de Milan. « Hypothétisation - circularité - neutralité, trois directives pour conduire la séance », est un article qui fera date. L’hypothétisation sera au programme de notre rubrique du mois prochain, d’ici là je vous souhaite une belle fin d’année 2016.
Roch Du Pasquier
1 M. Selvini, Mara Selvini Palazzoli histoire d’une recherche (1985), ESF.
2 G. Ausloos, La compétence des familles (1995), Érès.
Pour lire les précédents articles de Roch du Pasquier :
Article #1 - Le début des thérapies familiales systémiques : L’école de Palo Alto