Business and happiness therapy
Zone commerciale de Brive-la-Gaillarde. Un long bâtiment aux murs bardés de bois, entouré de verdure, coincé entre le Carrefour Drive et Leroy Merlin.
« Mesdames et messieurs, chers toutes et tous, bonsoir,
Si vous êtes venus si nombreux ce soir c’est parce que vous savez déjà que chez Résilience.com, la première de nos valeurs, la notion qui supplante toutes les autres, c’est l’éthique.
L’éthique est ce qui nous permet d’être ce que nous sommes.
L’éthique est ce qui nous permet d’écouter et de respecter notre désir profond, comme Marc Zalenberg, le fondateur de Résilience.com, l’a affirmé dès l’origine de sa Business and happiness therapy. Mais assez parlé pour le moment ! Laissons place aux images en attendant que Marc nous rejoigne... »
Sur un écran XXL une vidéo promotionnelle montre des box vitrés alignés les uns à côté des autres. (Un « c’est ici ! » se chuchote dans l’assistance.)
Des individus, casques sur la tête et micro devant la bouche, parlent, crient ou sanglotent devant un écran. Chacun d’eux a pu choisir son AI therapist. Il y a Sonia, la cinquantaine, yeux bleus et cheveux blond rassemblés en un stricte chignon ; Alice, la quarantaine, coupe à la garçonne et grandes lunettes ; Eric, la cinquantaine, mâchoire carrée et calvitie naissante ; Martin, la trentaine, peau mate et dreadlocks, « il est très doux, c’est celui qui a le plus de succès parmi nos jeunes patientes » précise la voix off.
Zoom arrière. Au bout du couloir Marc Zalenberg apparaît. Tout à coup sa montre connectée aux 25 box de la première unité Business and happiness therapy créée par Résilience.com, il y a moins d’un an, dans la zone artisanale de Brive-la-Gaillarde, se met à vibrer. Madame V. appelle Marc Zalenberg à son secours. Marc connait bien Mme V., elle le sollicite souvent.
La caméra le suit lorsqu’il avance d’un pas déterminé dans le long couloir de Résilience.com. Il se rend immédiatement au box occupé par Mme V. et entre. Face à lui, sur l’écran de l’ordinateur, l’AI Therapist Alice, l’air navrée, résume rapidement sa difficulté. Marc Zalenberg lui répond de ne pas s’inquiéter et l’écran s’éteint. Sans perdre un instant Marc passe de l’autre côté du bureau afin de poursuivre la séance. La porte du box n° 12 se referme automatiquement et le film se termine sur la voix off qui précise que les patients, à tout moment, peuvent bénéficier d’un échange avec un thérapeute humain*.
* Malheureusement cette possibilité n’est pas offerte avec l’abonnement standard au prix de 39,99 euros la séance pour un engagement de 40 séances/semestre. L’abonnement PREMIUM - qui accorde cet avantage - est actuellement au prix anniversaire de 54,99 euros la séance (engagement de 40 séances minimum)
« Ah ! Votre attention s’il vous plaît ! reprend le présentateur. On me dit à l’oreillette que Marc est arrivé. Il est là ! Mesdames et messieurs je vous demande d’applaudir Marc Zalenberg et sa psychothérapie éthique.
(Applaudissements généreux et néanmoins prudents. Marc Zalenberg s ’installe derrière le micro dans son impeccable costume ocre)
Bonsoir,
Je sors d’un Covid plus long que je l’aurais souhaité et je suis encore épuisé. Il est possible, pour éviter de devenir confus ou pénible à suivre, que je me trouve dans l’obligation d’écourter ma présence parmi vous.
Alors, qu’est-ce que l’éthique dans notre Business and happiness therapy ?
Je pourrais vous répondre que c’est ce que je viens de faire. Ne pas cacher mon état de forme et mes émotions aux personnes avec lesquelles j’interagis. Ne pas chercher à être enjoué et drôle si je suis fatigué. Voilà une première application concrète de mon éthique thérapeutique.
L’éthique, bien sûr, dépasse largement le rapport à ma personne propre et à mes relations interpersonnelles.
Il me faut maintenant vous parler brièvement des origines et de la fondation de notre start up Résilience.com. Afin d’affiner notre définition de l’éthique. Éthique que nous avons renommé transparence relationnelle.
Avec Elon, dès le départ, nous avons établi une liste des savoirs thérapeutiques indispensables pour faire progresser notre virtual therapist. Qu’avons-nous fait ? Et bien, tout simplement, nous lui avons donné de la lecture :
- Freud en premier. Ah, très bien, des réactions ! Oui oui, vous êtes étonnés par mon entrée en matière. Sigmund Freud, juif viennois qui se fait connaître en inventant la psychanalyse à l’aube du XXe siècle...
Mais pourquoi ne pas le nommer ? Pourquoi se priver de connaître Sigmund Freud ? Pourquoi rester bloqué à la pensée magique qui consiste à croire qu’en ne le nommant pas il n’apparaitra pas ? Personne, ici, ne me semble avoir l’âge d’Harry Potter lors de sa première rencontre avec celui-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom. Ne faisons pas de Freud un ennemi si redoutable que nous ne puissions pas utiliser des éléments de son invention ! (rires de l’assistance)
Ah, merci pour votre rire ! Oui, vraiment merci ! Cela m’apporte de l’énergie et cela me permet déjà de me sentir un peu moins fatigué qu’en arrivant.
- Gregory Bateson et les systémiciens de l’école de Palo Alto en second. Pour la bonne raison que ce sont eux qui m’ont appris la connotation positive. C’est quoi ? C’est, par exemple, ce que je viens de vous dire sur l’effet de votre rire. La connotation positive est un puissant levier de changement. Mais attention ! Elle ne permet le changement que si le locuteur du message est sincère. La sincérité est une notion éthique capitale et chez Résilence.com nous ne sommes pas des menteurs ! Tous les bienfaits de notre Business and happiness therapy réside dans ce simple postulat.
S’il est vrai, dans ce que je ressens, que votre rire m’apporte du réconfort, je dois ABSOLUMENT vous le dire.
Si ce n’est pas vrai je dois ABSOLUMENT me taire (rires polis). À moins de partir de l’idée que vous n’êtes pas des êtres sensibles ce qui va compliquer notre travail thérapeutique...
- Nous avons encore donné à lire à notre AI les TCC de la troisième vague, à ne pas confondre avec la nouvelle vague ( un étudiant de Master Cinéma rigole, les autres semblent un peu perdus). Notre AI therapist a étudié la TCD, la thérapie comportementale dialectique, l’AEDP, la psychothérapie accélérée expériencielle et dynamique, et même Milton Erickon, un vieil américain de la côte ouest. Oui, Milton, pour sa nouvelle hypnose qui va préfigurer les thérapies de cognitive remediation qui fleurissent ces derniers temps.
Bon, il y aurait de nombreuses sources à ajouter mais ce n’est pas mon propos ce soir. Je voulais simplement vous donner un aperçu de ce que, avec Elon, nous avions donné à manger à notre virtual therapist. Mais rapidement nous nous sommes heurtés à un obstacle infranchissable. Lequel ? Est-ce que quelqu’un a une idée ? Oui...
« L’empathie ? » propose une jolie blonde de la quarantaine en se levant dans son tailleur chic de la couleur safran des robes bouddhistes.
L’empathie. Oui, vous avez parfaitement raison ! (les têtes se tournent pour voir celle qui a parlé) Comment nous nous sommes sortis de cette ornière, vous demandez-vous ? Et bien, une fois encore, grâce à l’éthique. Avec Elon nous nous en sommes sortis dès que nous avons renoncé à vouloir apprendre l’empathie à notre virtual therapist. Lequel, aussi intelligent soit-il, ne peut pas posséder une qualité proprement humaine. De là j’ai établi une liste de mots qui doit alerter notre AI therapist. Des mots comme « déprime, suicide, haine... » doivent l’amener à se positionner comme quelqu’un qui ne sait pas quoi faire et qui écoute silencieusement. De là, soit notre AI therapist recueille des informations complémentaires et il peut reprendre ses échanges conversationnels, soit il reste bloqué, annonce qu’il ne peut pas aider le patient, et prend un rendez-vous face to face avec le thérapeute de permanence.
(un blanc. Le présentateur intervient)
Marc, je vous propose que nous marquions une courte pause puis nous enchainerons sur les questions. Cela vous convient-il ?
- C’est parfait. »
(L’assemblée se déplace vers le buffet. De très jolies femmes circulent entre les invités pour offrir à chacun coupe de champagne et vue plongeante. Tout le monde goûte et regarde. )
« Silence, un peu de silence s’il vous plaît, reprend le présentateur. Marc Zalenberg nous fait l’honneur de sa présence, profitons-en encore un peu. Y a-t-il des questions dans la salle ? »
La jolie blonde de la quarantaine au tailleur safran demande « Mr Zalenberg, pouvez-vous nous dire comment ce projet incroyablement en avance sur son temps vous est venu ? Pouvez-vous, même brièvement, nous dire quelque chose de la genèse de Résilience.com ?
- Je ne crois pas qu’il soit possible de répondre brièvement à une question aussi complexe, tente le présentateur.
- Laissez, laissez Eric, ça ne fait rien. C’est une excellente question, bien au contraire, que vous posez là madame, madame...
- Virginie Erafi, répond la belle. »
(Les têtes se tournent à nouveau vers Virginie et une vague de mécontentement parcourt toutes les femmes bankables de l’assistance. Zalenberg s’en aperçoit et reprend le contrôle de ses pulsions de mâle alpha afin de ne pas compromettre son entreprise florissante mais néanmoins fragile. Il s’agit de réussir cette levée de fond. Les villes de Vannes, Colmar, Chambéry, Arles, Fontainebleau, Blois et Saumur ont toutes répondues favorablement à l’implantation d’une unité Business and happiness therapy sur leur territoire. Et après ce galop d’essai Marc compte bien passer à l’international. C’est sa dernière pensée lorsqu’il s’écroule. Dans sa chute au ralenti, il est dans les bras de Virginie.)
Roch du Pasquier