La qualité est-elle soluble dans l’action sociale et médico-sociale ?
En marge de la publication le 4 octobre dernier de son essai « Démarches qualité : progrès ou asphyxie, l’exemple du secteur social et médico-social » aux Presses de l’EHES, Laurent Barbe nous propose ici un article qui pointe de façon très claire les impasses de la gestion actuelle de la qualité sans omettre cependant de souligner sa légitimité.
La réflexion critique proposée dans mon nouveau livre, est nourrie par mes expériences nombreuses de conseil et de formation auprès des institutions et acteurs du secteur et par l’examen du nouveau dispositif de contrôle qualité imposé par la Haute Autorité de santé à tous les établissements et services relevant de la loi 2002-2.
Elle m’a amené à constater que l’importation progressive dans le secteur du langage et des démarches qualité issues d’autres univers (entreprise, service, formation, sanitaire…) a pu avoir certains effets positifs qu’il ne faut pas nier dans un secteur qui s’est beaucoup développé et diversifié pour répondre à des besoins sociaux et des attentes en forte évolution.
Mais elle a aussi promu une vision de cette qualité très réductrice, peu intéressée par le travail réel qui y est mené, peu susceptible de mobiliser et donc de générer les progrès subtils et systémiques dont le secteur a tant besoin dans une période de grande fragilisation. Loin de prendre en compte la complexité de la notion de qualité au sein de formes d’action très diverses, elle est entrée dans une perspective métrique prétendant mesurer une qualité qui n’est définie que de manière tautologique comme « ce que mesure la HAS ».
Les acteurs du secteur, confrontés à ces logiques qui leur paraissent bureaucratiques, asphyxiantes voire destructrices, souscriront facilement à ces constats critiques. Pour autant, la tentation d’un « dégagisme sémantique » comme le dit Pascal Chabot (philosophe, auteur du Traité des libres qualités PUF 2019 et auteur de la préface de mon livre) amenant à rejeter la notion au nom des mauvais usages qui en sont faits me parait une impasse. Car la question de la qualité des réponses apportées est à la fois légitime pour les actions mobilisant des fonds publics et essentielle. Car l’action menée au nom de la solidarité - quelle que soit la vertu des principes mis en avant - peut ne pas répondre aux attentes, générer du « merdique » selon Pascal Chabot (qui en fait l’envers de la qualité) ou encore produire des effets iatrogènes, documentés dans de nombreuses formes de l’action.
Étant produite par des humains comme par des organisations faillibles, son questionnement régulier par toutes ses parties prenantes doit être investi et outillé intelligemment tant sur le plan conceptuel que des méthodes. Il nécessite une articulation entre regard extérieur, analyse interne et parole des personnes accompagnées dont les formes doivent être pensées, en faisant le pari de l’intelligence collective plutôt que d’une production de normes assortie d’une dynamique de contrôle qui ne fait qu’épuiser les acteurs, tout en passant largement à côté de son objet.
Laurent Barbe est psychosociologue, consultant au cabinet CRESS et mène depuis 1993, des activités de conseil et de formation pour le secteur de l’action sociale et médico-sociale au sens large. Il est enseignant en Master de Sciences de l’éducation à l’université de Paris- Nanterre (Éducation familiale et interventions socio-éducatives en Europe et en formation continue au Cnam Paris -Cestes.