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Ma lecture du rapport de la Cour des comptes 2023 sur la pédopsychiatrie

Un accès et une offre de soins à réorganiser

Bernard Golse partage avec le Copes sa lecture du rapport de la Cour des comptes 2023 sur la pédopsychiatrie.  Sollicité en tant que conseiller-expert, il a en effet participé à l’écriture de ce rapport rendu public en mars 2023. Dans l’article qu’il lui consacre, Il dégage les principales lignes de force de ce travail mené aux côtés de Juliette Meadel - Magistrate à la Cour des comptes - avant de faire quelques réflexions personnelles sur la crise actuelle de la pédopsychiatrie.

Bien qu’étant psychanalyste, j’ai eu le plaisir d’être sollicité pour m’impliquer en tant que conseiller-expert dans l’écriture du rapport de la Cour des comptes sur l’état actuel de la pédopsychiatrie.

J’ai eu ainsi l’occasion de travailler pendant plusieurs mois en 2022 aux côtés de Mme Juliette Méadel qui a piloté de main de maître la rédaction de ce rapport … on ne peut plus éloquent !

Ceci n’était pas gagné d’avance car des résistances se sont élevées ici ou là quant au recrutement d’un psychanalyste pour cette tâche, ce dont on pouvait hélas se douter.

C’est la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale qui a saisi la Cour des comptes d’une demande d’enquête sur la pédopsychiatrie par une lettre du 6 octobre 2022.

Depuis la pandémie de la COVID-19, toutes les bonnes fées se penchent en effet sur la santé mentale des enfants et des adolescents.

L’accroissement considérable des souffrances et des troubles psychiques dans cette tranche de la population pendant la période de confinement a frappé les esprits et fait prendre conscience aux responsables nationaux de la fragilité du psychisme humain, et notamment du psychisme en développement.

Ce rapport ne s’arrête toutefois pas à une pure évaluation quantitative, il s’autorise à faire une critique qualitative de la gestion de la pédopsychiatrie et à proposer des pistes pour une amélioration future de la situation c’est-à-dire à faire des recommandations, selon le langage officiel.

Ce rapport a été rendu public en mars 2023 et je voudrais ici en dégager les principales lignes de force avant de faire quelques réflexions personnelles sur la crise actuelle de la pédopsychiatrie.

Le périmètre de ce rapport concernait spécifiquement le champ du sanitaire et de ce fait, ce document est principalement centré sur l’activité des pédopsychiatres alors même que la pédopsychiatrie est bien sûr une discipline fondamentalement pluriprofessionnelle (psychologues, orthophonistes, psychomotriciens, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants …) et transdisciplinaire et que les acteurs du soin psychique appartiennent non seulement au champ du sanitaire mais aussi au champ du médico-social.

Les points-forts de ce rapport

Je m’appuie en partie ici sur un certain nombre d’observations que Didier Houzel a formulées dans un texte à paraître dans le Journal de la psychanalyse de l’enfant.

Parmi les points-forts de ce rapport, je souhaite dire d’emblée que ce rapport vise de manière centrale à la requalification et à la redotation du secteur de psychiatrie infantile dans le cadre d’une dynamique sectorielle élargie.

Une offre de soins de pédopsychiatrie mal adaptée aux besoins

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on estime la population de mineurs (moins de 18 ans) dans notre pays à 14 millions d’enfants et d’adolescents dont 1,6 million souffrent d’un trouble psychique alors que 750.000 à 850.000 seulement bénéficient de soins psychiatriques.

En contraste avec ces chiffres impressionnants, le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34% entre 2010 et 2022, passant de 3113 en 2010 à 2039 en 2022 tandis que 58% des lits de pédopsychiatrie ont été supprimés.

Les soins sont donnés essentiellement sur un mode ambulatoire : consultations, séances thérapeutiques diverses, hospitalisation de jour.

Il y a eu, dit la Cour des comptes, un « virage ambulatoire ».

La prévalence des troubles psychiques chez les enfants et adolescents européens est estimée à 13% selon une méta-analyse faite en 2022.

Elle est mal connue pour la population française : la seule donnée épidémiologique remonte à 1987 et porte sur un échantillon limité aux enfants de 6 à 11 ans, pour aboutir à un taux de prévalence de 12,4%, donc proche de la moyenne européenne.

On peut craindre que ce taux n’ait augmenté au cours dernières années, si l’on en juge par l’accroissement des troubles suicidaires et des troubles de l’humeur chez les adolescents pendant la période COVID.

Quant aux troubles les plus sévères, le rapport en estime le nombre à 190.000 enfants et adolescents compte tenu des dépenses de soins de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM).

Au total, si l’on compare le nombre d’enfants et d’adolescents souffrant de troubles psychiques et le nombre d’entre eux qui bénéficient d’une prise en charge pédopsychiatrique, seul 1 enfant ou adolescent sur 2 bénéficie des soins dont il a besoin.
Encore faut-il évaluer la qualité et l’adéquation de ces soins.

À cet égard le rapport est sévère si l’on en juge par les sous-titres du rapport et les recommandations qui sont faites : « Une offre de soins de pédopsychiatrie mal adaptée aux besoins – Une offre de soins qui ne tient pas suffisamment compte de la diversité des troubles et des facteurs de risques – Un parcours de soins inadapté faute d’une gradation cohérente de l’offre de soins – Une politique de l’offre de soins de pédopsychiatrie plus lisible mais peu efficiente – Une lisibilité de l’action administrative à renforcer pour améliorer l’offre de soins de pédopsychiatrie ».

L’organisation inadéquate des soins

Le rapport dénonce « un parcours de soins inadapté faute d’une gradation cohérente de l’offre de soins ».

C’est d’abord le manque de coordination entre les acteurs de premier niveau (école, protection maternelle et infantile, médecins généralistes, pédiatres) avec les équipes spécialisées en pédopsychiatrie qui fait l’objet de sa critique. Cela conduit à retarder des prises en charge thérapeutiques et à un pourcentage excessif de recours aux services d’urgence :

« En 2021, 84.734 passages aux urgences pour trouble psychique de mineurs ont été dénombrés (…) entre 2016 et 2021, le nombre de passages aux urgences pour troubles psychiques chez les moins de 18 ans a augmenté de 65% ».

Le manque de moyens des Centres-Médico-Psychologiques (CMP) et des Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP) est le second défaut relevé par le rapport.

Ces centres sont pourtant devenus les lieux principaux de soins du fait du « virage ambulatoire » cité plus haut.

Ils sont encombrés, dépassés par les tâches qui leur incombent et l’importance de leur file active, si bien que le temps passé aux procédures diagnostiques et évaluatives réduit leur capacité thérapeutique.

À cela s’ajoute le problème des délais pour obtenir un premier rendez-vous de consultation : 116 jours en moyenne, alors qu’il n’est que de 21 jours pour les adultes.

En conclusion de ce chapitre sur l’organisation des soins, le rapport souligne que :

« Plus de 60 ans après la mise en place des secteurs de pédopsychiatrie, le parcours de soins des enfants et jeunes souffrant de troubles psychiques reste peu lisible et confronté à de multiples acteurs, la famille restant encore trop souvent en charge de la coordination des interventions ».

Une gouvernance volontaire mais peu efficiente et peu adaptée à l’indispensable revitalisation de la pédopsychiatrie

Un certain nombre de points positifs sont cependant relevés.

Le premier est le tout récent décret du 28 septembre 2022 qui étend jusqu’à 18 ans l’âge des adolescents qui relèvent de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (nom officiel de la discipline).

Jusque-là, l’âge limite des sujets relevant de la pédopsychiatrie était 16 ans, ce qui créait un porte-à-faux entre l’âge où l’on atteint la majorité civile (18 ans) et celui à partir duquel on relève de la psychiatrie d’adultes.

Cette rectification était depuis longtemps demandée par les pédopsychiatres, c’est chose faite, mais il est bien sûr trop tôt pour en évaluer les effets.

Le deuxième élément positif est l’adoption d’une feuille de route sur la santé mentale, qui date du 28 juin 2018 et qui, pour la première fois, formalise l’objectif d’améliorer l’accès aux soins pédopsychiatriques et prévoit plusieurs actions concrètes identifiées en ce sens comme celle de « faire figurer la pédopsychiatrie dans les disciplines essentielles à renforcer ».

Cette feuille de route exprime donc une volonté renforcée d’agir alors qu’auparavant, la politique de l’offre de soins de pédopsychiatrie souffrait d’une absence de planification, malgré les nombreux textes, remontant aux années 1960 et portant sur la sectorisation (il existe de nos jours 342 secteurs de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent).

Depuis 2018, il y a donc « une mobilisation nette en faveur de la pédopsychiatrie (…), mais un empilement de plans peu lisible ».

La Cour appelle donc les pouvoirs publics à plus de cohérence et plus de clarté dans les objectifs de la politique d’accès aux soins en pédopsychiatrie.  

La création d’une délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie, créée en avril 2019, est un progrès aussi, à condition nous dit la Cour qu’elle puisse également œuvrer dans les champs éducatif et social et s’inscrire ainsi dans une approche plus interministérielle.

À cet égard, la Cour recommande d’en étendre son champ de compétence à la pédopsychiatrie et de la dénommer « délégation interministérielle à la santé mentale, à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie ».

Au plan régional, le rapport estime que les Agences Régionales de Santé (ARS) ont l’autonomie nécessaire pour piloter et coordonner l’offre de soins, mais qu’elles font preuve en général d’une trop grande timidité.

La Cour recommande qu’elles dotent leur projet territorial de santé mentale d’un volet spécifique pour la santé mentale infanto-juvénile.

Un système de financement en évolution

Le rapport souligne l’effort financier entamé récemment en faveur du développement de la pédopsychiatrie, notamment par une prime aux établissements comprenant des services de pédopsychiatrie.
Elle invite, toutefois à la vigilance pour surveiller l’application des mesures financières favorables à la discipline.

Requalifier et redoter les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile

Plusieurs pistes d’action à ce propos sont recommandées par ce rapport dont elles forment véritablement la colonne vertébrale :

Alors que les rapports de la Cour des Comptes sont habituellement conçus dans l’optique de permettre à l’État de faire des économies, celui-ci a été réalisé par Mme J. Méadel à la condition préalable d’admettre que pour que des économies soient un jour possibles dans le champ de la pédopsychiatrie, l’État aurait d’abord à faire d’importants investissements financiers pour redresser une situation à l’évidence catastrophique.
Ce changement de perspective est suffisamment rare pour qu’il soit ici clairement souligné.
Cela étant dit, le rapport insiste sur le fait que le concept de sectorisation doit impérativement être préservé.
Le fonctionnement des secteurs peut sans doute faire l’objet de transformations mais sans que soient perdues leur dimension démocratique (pédopsychiatrie de proximité et accessibilité des soins), leur dimension à la fois généraliste et spécialisée et leur fonction préventive enfin.
Ceci est crucial et central tout à la fois.

La porte d’entrée des bébés, des enfants, des adolescents et des familles dans les dispositifs de soins pédopsychiatriques est une question difficile.
Un, premier dépistage peut se faire à l’école, dans les centres de Protection Maternelle et infantile (PMI) et dans les différents lieux d’accueil des tout-petits, mais que se passe-t-il ensuite ?
Les généralistes ne sont pas toujours suffisamment formés, les pédiatres ne sont pas suffisamment nombreux et les services hospitalo-universitaires sont souvent débordés par leurs activités de recherche et celles dites de liaison.
Certaines familles connaissent tel ou tel type de structures (CMPP par exemple) ou peuvent consulter directement tel ou tel pédopsychiatre en ville (le plus souvent surchargé) ou tel ou tel psychologue et ce sera toujours le cas, mais il est indispensable que le secteur soit – ou redevienne - une porte d’entrée visible et facilement accessible pour les familles et ceci sans délai d’attente insupportable et inacceptable.

Ce type de réseau fonctionne utilement en Belgique et en Suisse.
Il ne s’agit aucunement de mettre sous la coupe des CMP de secteur toutes les autres structures participant au soin pédopsychiatrique.
Il s’agit en revanche de faire en sorte que ces différentes structures se connaissent, collaborent efficacement et puissent réfléchir ensemble à la meilleure orientation d’un enfant au sein de ce réseau.
Si la première consultation a lieu au niveau du CMP celui-ci, en fonction de la connaissance qu’il a des autres structures, pourrait ainsi soit poursuivre l’évaluation lui-même - mais sans obérer sa capacité de prise en charge des cas lourds - adresser l’enfant vers une autre structure à même de réaliser cette évaluation diagnostique initiale dont l’importance est capitale pour la suite du parcours de soins de l’enfant.
Au sein de ce réseau, on peut en outre imaginer que le secteur soit un lieu de référence pour les praticiens libéraux confrontés à une difficulté ou à un besoin d’intervision.

Le diagnostic précoce voire précosissime d’autisme connaît en effet des limites et dans les premiers mois de vie de l’enfant, il ne peut être encore question aujourd’hui que d’un diagnostic de risque.
Ceci est fondamental du point de vue éthique pour ne pas rajouter de l’angoisse à l’angoisse des parents en prononçant trop tôt et de manière infondée un diagnostic d’autisme et pour ne pas risquer d’inscrire l’enfant dans des filières de soins spécialisées dont il aurait du mal à sortir ultérieurement si le diagnostic d’autisme ne se trouve pas confirmé.

Cet objectif apparaît évidemment aujourd’hui comme un objectif à long terme.

Revitaliser le champ du soin psychique infanto-juvénile

Il s’agit là d’une priorité de santé publique, qui doit faire appel aux mesures suivantes :

Il rappelle, à cet égard, qu’elle a été transformée en 1991 en surspécialité ouverte par un Diplôme d’Étude Supérieures (DES).

Ce n’est que depuis la rentrée universitaire de 2022 qu’elle est devenue une option dans le cadre du DES de psychiatrie, option que les étudiants doivent choisir dès les premiers semestres de leur internat.

Par ailleurs, depuis la rentrée universitaire de 2017, la maquette des semestres d’internat pour la psychiatrie a réduit de 2 à 1 le nombre de semestres obligatoires en pédopsychiatrie :

« Pour compenser les futurs départs en retraite, il faudrait au moins doubler le nombre d’étudiants formés à la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent pour les 15 prochaines années ».

Les effectifs hospitalo-universitaires dédiés à la pédopsychiatrie ne représentent que 0,8% de la totalité de ces effectifs.

En ce qui concerne les infirmiers et infirmières, il est rappelé que le statut d’infirmier de secteur psychiatrique a été supprimé en 1991, mais que depuis 2019 s’est mise en place une spécialisation en santé mentale des infirmiers et infirmières en pratique avancée (IPA), qui permet à ces personnels de prendre en charge des patients qui leur sont confiés par des médecins et de coordonner les parcours de soin, notamment entre les secteurs sanitaire et social.
Le dispositif monte en puissance, mais lentement : seulement 69 étudiants ont été diplômés en 2022.

La conclusion de ce rapport mérite d’être largement citée

« Si la volonté des pouvoirs publics de mieux organiser l’offre de soins psychiques infanto-juvéniles s’est manifestée clairement depuis 2018, avec l’adoption de la feuille de route sur la santé mentale, il reste que l’amélioration de la pertinence de l’offre de soins de pédopsychiatrie n’est pas encore un objectif de santé publique à part entière.
Une planification dotée d’objectifs quantifiables et d’un calendrier de mise en œuvre serait indispensable à l’amélioration de l’efficacité du pilotage national et régional.
Par ailleurs, en dépit des progrès réalisés avec la mise en place du délégué ministériel à la santé mentale, psychiatrie, la gouvernance est encore trop peu opérationnelle.
Au niveau national, il importe d’élargir explicitement le champ d’intervention de ce délégué à celui de la pédopsychiatrie et de renforcer son positionnement institutionnel en le plaçant au niveau interministériel.
Il deviendrait ainsi un délégué interministériel à la santé mentale, à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie.
Au niveau régional, les ARS doivent être mieux dotées en termes d’outils de pilotage pour accélérer la mise en œuvre vérifiable des projets territoriaux de santé mentale, qui devraient comporter un chapitre spécifiquement dédié à la pédopsychiatrie ».

La crise actuelle de la pédopsychiatrie

Outre la coupure progressive de la pédopsychiatrie d’avec la psychanalyse qui représente en soi, me semble-t-il, un facteur de risque pour la pédopsychiatrie, trois hypothèses fortes m’apparaissent comme essentielles - mais sans doute non exhaustives - pour rendre compte de la crise actuelle de la pédopsychiatrie.

La demande que la collectivité adresse aux psychiatres et aux pédopsychiatres est aujourd’hui très différente de ce qu’elle était initialement.

Les sociologues tels que J.-Y. Barreyre nous aident à repérer ce type de modifications progressives.

Il est clair par exemple qu’en France, la demande sociale dans les années 1960/70, à l’égard de la pédopsychiatrie, était une demande principalement centrée autour de la question du sujet, de sa souffrance et de ses conditions de soin, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

C’est dans cette perspective, que s’est déployé, me semble-t-il, tout le mouvement de sectorisation (en psychiatrie de l’adulte comme en psychiatrie de l’enfant), dispositif que le monde entier nous a envié et dont on sait par ailleurs qu’il renvoyait également à des objectifs égalitaires, et qu’il cherchait à tenir compte, pour lutter contre l’enfermement, de la terrible et douloureuse expérience concentrationnaire à laquelle la seconde guerre mondiale avait, hélas, donné lieu.
La politique de sectorisation est, certes, loin d’avoir été menée à son terme mais, à l’heure actuelle, il ne semble plus que les mêmes objectifs ou que les mêmes idéaux soient encore en jeu et, de ce fait probablement, la demande sociale a désormais changé.
On parle moins du sujet, on parle moins de sa souffrance, on parle moins d’enfermement et l’on parle davantage de symptômes entravant l’adaptation et de troubles neurodéveloppementaux appelant surtout des techniques rééducatives ou palliatives.
La tentation est grande, alors, de chercher une réponse médicamenteuse qui permettrait de supprimer rapidement le symptôme, sans avoir besoin de se livrer à une analyse psychopathologique soigneuse de la situation, analyse forcément lente et plurifactorielle.

La pression des laboratoires pharmaceutiques est énorme dans le champ de la psychiatrie adulte, privant d’ailleurs les enseignants dans cette discipline d’une possibilité de transmission véritablement libre des connaissances, et la situation, si nous n’y prenons garde, risque de devenir identique dans le champ de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
La honteuse expertise collective INSERM de 2005 sur « Le trouble des conduites » ouvrait ainsi délibérément la porte à une prescription élargie de psychotropes chez l’enfant dans une perspective dite « préventive » et ceci, avant l’âge de trois ans (alors que jusqu’à maintenant, les autorisations de mise sur le marché sont encore très resserrées en psychiatrie infanto-juvénile, en France tout au moins, ne serait-ce qu’en raison d’un principe élémentaire de précaution).
On sait hélas que cette prescription de psychotropes a récemment fortement augmenté comme l’a montré un récent rapport du Haut Conseil de la Famille, de l’enfance et de l’Âge (HCFEA) .

Il existe depuis longtemps une sorte de consensus tacite entre les médias et le grand public pour toujours évacuer la complexité qui nous confronte immanquablement à la question de la sexualité, de la souffrance psychique et de la mort.
Tout se passe alors comme si la pensée avait horreur d’elle-même, comme s’il existait, partout et toujours, une sorte de haine masochiste de la pensée envers elle-même.

Conclusions

La situation est plus que grave, elle est préoccupante.
La pédopsychiatrie est en passe de disparaître ce qui serait un désastre pour les enfants et les familles qui en ont besoin.
La neuropédiatrie ne saurait en effet remplacer la pédopsychiatrie car, aussi respectable soit-elle, elle ne se fonde pas sur le même modèle épistémologique.
La pédopsychiatrie se fonde sur un modèle polyfactoriel qui tente inlassablement de nouer les facteurs endogènes et exogènes dans la compréhension du déterminisme étiopathogénique des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent ce qui en fait une discipline merveilleuse et très précieuse seule à même de considérer le développement de l’enfant au sein de son environnement au sens large.
Espérons que ce rapport saura mobiliser les énergies des uns et des autres, y compris du grand public avant qu’il ne soit trop tard …

Bernard GOLSE

Pédopsychiatre-Psychanalyste (Membre de l’Association Psychanalytique de France) / Ancien Chef du   service de Pédopsychiatrie de l'Hôpital Necker-Enfants Malades (Paris) / Professeur émérite de Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'Université Paris Cité / Fondateur de l’Institut Contemporain de l’Enfance / Membre titulaire du Laboratoire « Psychologie Clinique, Psychopathologie, psychanalyse » (PCPP) de l’Université de Paris / Ancien Membre du Conseil Supérieur de l’Adoption (CSA) / Ancien Président du Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) / Président de l’Association Pikler Lóczy-France (APLF) / Président de l’Association pour la Formation à la Psychothérapie Psychanalytique de l’Enfant et de l’Adolescent (AFPPEA) / Past-Président de la Fédération Française de Psychothérapie Psychanalytique de l’Enfant et de l’Adolescent (FFPPEA) / Président de l’Association CEREP-Phymentin / Président de l’Association Européenne de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent (AEPEA) / Président de la Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s'occupant de personnes autistes et membres associés (CIPPA)

 

 

E. Fombonne (1987), The Chartres Study:  the prevalence of psychiatric disorders among French school-aged children, Br. J Psychiatry, 1994.
J.-Y. Barreyre, Classer les exclus : enjeux d’une doctrine de politique sociale, Paris,Dunod, 2000
https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf