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Assises citoyennes du soin psychique. « Urgence de repenser l’enfance en souffrance »

Armelle Cadoret, psychiatre et médecin directeur de l'IME Cerep-Phymentin, témoigne de la dégradation progressive des outils de soin et de la difficulté à accueillir et soigner des enfants en grande souffrance aujourd’hui. Ce témoignage fait suite aux Assises citoyennes du soin psychique, qui se sont tenues le vendredi 11 et samedi 12 Mars 2022,et dont vous proposons le Communiqué de l’atelier « Urgence de repenser l’Enfance en souffrance » adressé aux parlementaires ici.

Je travaille comme médecin directeur à mi-temps d’un IME pour adolescent (association CEREP-PHYMENTIN) dans le 19ème arrondissement depuis 3 ans.

Je suis seule médecin et psychiatre pour 35 Adolescents atteint de troubles psychiques soit secondaires à la déficience soit cause principale de la déficience. Il s’agit pour 1/3 d’une orientation suite à une prise en charge en hôpital de jour, 1/3 d’une suite de prise en charge avec un IME enfant et le dernier tiers vient d’ULIS et c’est la première institution.

Je suis secondée par une cheffe de service et une assistante de direction, deux psychologue à mi-temps, une infirmière temps plein, une psychomotricienne à mi-temps et une équipe de huit éducateurs. Nous avons supprimé le poste d’orthophoniste car nous n’arrivions pas à recruter suite au départ de la personne en poste à mon arrivée. Nous avons ainsi renforcé un mi-temps en temps plein de poste de chargée d’orientation car les sorties à 20 ans sont très compliquées sur les ESAT et les CAJ faute de place.

 

Cette équipe, « bien dotée » selon notre direction générale, est bien éprouvée pour fournir des ateliers de qualité toute la semaine et nous avons dû tous participer à la contenance groupale. Nous avons donc dû faire le choix de supprimer toutes les prises en charge individuelles au sein de notre établissement.

Nous essayons de nous appuyer sur les suivis au CMP, CMPP mais ils sont eux aussi saturés par les demandes sans pouvoir fournir des prises en charge hebdomadaires.

 

Les familles sont souvent en grande souffrance et je les reçois avec une des deux psychologues. Le déni des troubles est renforcé par une scolarité qui s’est souvent poursuivie jusqu’à l’ULIS 3ème !

Le discours ambiant renforce la réticence de certaines familles qui prennent des avis ailleurs. Certains collègues invalident notre travail sans prendre contact avec nous et mettent en place suite à un bilan des rééducations libérales. Ce renforcement du soin accentue malheureusement le clivage entre une institution défaillante et un suivi libéral précieux mais trop réduit. Cette ambiance ne permet donc aucun travail d’alliance thérapeutique avec les parents pour élaborer le deuil de la normalité, l’accueil du handicap et l’élaboration d’une séparation psychique partiel du patient avec sa famille. Souvent, le patient agit même alors dans l’institution l’ambivalence de la famille avec des passages à l’acte agressif sur l’équipe.

Dans ces situations malheureuses, nous n’avons aucun soutien de nos tutelles (MDPH, ARS) qui nous assènent que nous ne devons pas créer de ruptures de parcours et nous sommes alors dans une position passive attendant que le patient et sa famille quitte l’institution ce qui n’arrive pas car les places sont chères… Condamnés donc à être mauvais mais accessible sans levier thérapeutique !

 

Ces mêmes tutelles qui veulent maintenant nous imposer les admissions comme si nous n’étions pas capables de pouvoir gérer un équilibre des groupes et le maximum d’hétérogénéité pour rendre possible le travail institutionnel. Mais il n’est pas question de travail institutionnel car la rupture de parcours rend l’alliance thérapeutique secondaire et nous sommes réduit à être des distributeurs de prestations dont nous ne pouvons pas assurer la diversité pour accueillir la différence dans une enveloppe globale.

 

J’ai travaillé depuis 2003 dans un Intersecteur de psychiatrie de l’enfant dans le Val de Marne (94I01) comme praticien hospitalier temps plein et les quinze années passées ont été dans le constat d’une dégradation progressive des outils de soin.

J’ai appris avec plaisir en CMP les consultations thérapeutiques toutes les heures avec la possibilité de faire des indications de prises en charge individuelles, des synthèses avec les collègues et les partenaires. J’ai même eu la chance de prendre des enfants en thérapie car nous nous partagions avec les collègues psychologues le rôle de consultant dans le CMP. Je me suis également formée aux groupes d’enfants avec un travail de reprise et de supervision nécessaire à l’élaboration du matériel archaïque généré par la prise en charge en groupe.

Puis, le rythme s’est peu à peu accéléré, les démarches annexes de traçabilité et de qualité ont nécessité de produire un autre discours plus transmissible et plus accessible. Dans notre grande bonté et enthousiame, nous avons cherché à rendre cette évaluation intéressante en essayant d’y trouver un sens, de profiter d’un gain d’organisation et, malheureusement, nous avons suivi le dictat de cette privation de liberté de pensée.

Je suis donc arrivée en 2019 à des consultations à un rythme effréné, sans pouvoir adresser les patients en suivi individuel au CMP, sans place dans les institutions et organisant un suivi insatisfaisant avec des parents parfois très réticents à des méthodes décriées par ailleurs et demandant sans cesse des traces écrites. Les échanges avec les partenaires extérieurs étaient peu fréquents et les conflits entre nos différences de pratique ne permettaient plus l’échange autour d’une clinique commune du patient.

Nous avons dû également assurer en tant que praticien hospitalier tout le processus d’accréditation, les réunions médicales se sont transformées en EPP et la pensée ensemble en a pris un sacré coup.

J’ai donc quitté mon poste dans la fonction publique et le sanitaire pour le médico-social en espérant que la marge de manœuvre y restait un peu plus grande.

 

Je suis donc profondément choquée de découvrir que les réformes aggravent la situation partout. L’argent va au diagnostic dans les plateformes et pas au traitement comme si faire une ségrégation était suffisant. Cela ressemble à des raccourcis qui peuvent permettre un totalitarisme.

Dans le médico-social, nous venons d’être obligées de fournir la prime SEGUR à deux collègues de notre IME (infirmière et psychomotricienne) alors que tous les autres ne la touchent pas. Après avoir travaillé depuis trois ans comme médecin directeur à aider l’ensemble de l’équipe dont les éducateurs à retrouver le sens de leur travail en formant une ambiance d’équipe propice à partager les cliniques et à se considérer tous comme soignants, je dois leur dire le contraire ? Nous sommes à deux doigts de l’implosion !!!

Les moments difficiles que nous avons passés ces deux dernières années à cause de la pandémie ont permis un travail d’une grande qualité grâce à une contenance exceptionnelle et une relation individuelle nourrie pendant le premier confinement. Les éducateurs qui étaient précédemment sous la coupe d’une double direction administrative ont été très en difficultés devant la nécessité de garder un lien individuel avec leurs jeunes en référence, sans l’aide des ateliers à médiation et en étant seul dans un dialogue virtuel où les parents faisaient souvent intrusion. Ils ont alors bénéficié d’écoute de la part des psychologues et de moi-même et de temps de reprise de ce tout nouveau matériel clinique.

Ces pseudo réformes viennent leur signifier qu’ils auraient mieux fait de ne pas s’investir comme des soignants et les font partir du secteur médico-social en laissant le champ du handicap et la déficience dans la chronicité et l’inclusion forcenée.

La folie actuelle de notre culture voudrait inclure tout azimut et que le monde se plie aux handicapés alors que ceux-ci peuvent gagner en souplesse si on les prend en charge dans un milieu réellement adapté. La clinique du handicap n’est pas très loin de celle de la pathologie psychiatrique…

 

Mes propositions pour l’avenir sont très nostalgiques car c’était mieux avant !!! Et si on veut dans le futur faire encore mieux qu’avant, il faut impérativement redonner plus de moyens aux institutions publiques sanitaires et médico-sociales.

Il faut arrêter de nous demander de nous mettre à faire ce que l’on ne sait pas faire et créer sans doute des lieux différents, certains comportementalistes et d’autres psychanalytiques et arrêter de vouloir nous transformer en plateformes prestataires d’un soin intégré sans odeur ni saveur.

La mainmise administrative ne nous aide pas à mieux travailler, elle nous rajoute un surmoi inefficace et fatiguant.

Il faut créer des vraies passerelles entre le monde des soins et le scolaire mais pas pour éviter le passage en institution ou le retarder…Il est à noter que nous n’avons pas réussi ces dernières années à réintégrer des jeunes de l’IME vers les filières CAP à partir des logiciels qui ne le permettaient pas ! Nous avons dû inscrire les jeunes en établissement privé pour qu’ils puissent poursuivre vers un CAP ! L’alternative aurait été de leur faire quitter l’IME pour qu’il puisse se réinscrire directement sans pouvoir les accompagner ! C’est le comble de notre société qui ne reconnaît pas la qualité d’un accompagnement dans la différence et voudrait une égalité des chances sous couvert de la violence d’une inclusion forcée.

 

Je suis très heureuse que nous puissions nous mobiliser lors de ces journées d’échange et de pensées au-delà des mouvements de grève fatalement erratiques car nous sommes des soignants donc dans le souci du soin de nos patients et que certains d’entre nous sont tellement sous-payés qu’ils ne peuvent se permettre des jours de grève non rémunérés…

 

Docteur Armelle Cadoret, pédopsychiatre, psychanalyste