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De Petite fille aux Essais de Montaigne

Le 2 décembre dernier, Arte diffusait le documentaire Petite fille  de Sébastien Lifshitz. On y découvre Sacha, un petit garçon qui se ressent petite fille. A ses coté, toute une famille qui l'accompagne : rendez-vous pris en pédopsychiatrie, endocrinologie, combat pour que Sacha soit reconnu petite fille à l'école. Le la petit garçon petite fille est bouleversant, sa famille tout autant dans sa détresse face à la souffrance de l'enfant et son désir de l'aider. Mais comme l'a soulevé un collectif de psychanalystes, psychiatres, pédiatres dans une tribune libre parue dans Marianne Les choses sont-elles si simples ?  Venant rebondir sur cet article, Roch du Pasquier nous apporte lui aussi son regard professionnel, quelque peu plus nuancé.

Après avoir regardé Petite fille, le film documentaire de Sébastien Lifshitz, et procrastiné quelques jours, je me décide à partager avec vous certaines réflexions. Procrastiner pour dire hésiter à faire, genre pour dire sexe, dysphorie de genre pour transsexualisme, technicien de surface pour éviter femme de ménage puisque les hommes aussi peuvent le faire sans déshonneur, notre société actuelle paraît friande de néologismes.

Est-ce au détriment de notre capacité à penser ?

Ici, différemment des remarques déjà formulées par un collectif de pédiatres, psychiatres, psychologues, psychanalystes, philosophes, avocats, et neurochirurgiens[1], je vais revenir un instant sur le premier entretien entre Sacha, sa mère, et la psychiatre de l’Hôpital Robert Debré spécialiste de la dysphorie de genre qui annonce « C’est le bon moment pour venir » puis, après quelques échanges, pose la question :

 

À travers cinq siècles d’histoire, que répondrait Montaigne à pareille affirmation ?

« Combien y a-t-il de choses peu vraisemblables, témoignées par gens digne de foi, desquelles si nous ne pouvons en être persuadés, au moins les faut-il laisser en suspens : car les condamner impossibles, c’est se faire fort, par une présomption inconsidérée, de savoir jusqu’où va ce qui est possible de ce qui ne l’est pas.[2] »

Ou bien :

« C’est une hardiesse dangereuse et de conséquence, outre l’absurde témérité qu’elle traîne avec elle, de mépriser ce que nous ne concevons pas. »

Ou encore, devant l’attitude de la psychiatre qui n’écoute pas les liens effectués par la mère :

« C’est une sotte présomption, d’aller dédaignant et condamnant pour faux, ce qui ne nous semble pas vraisemblable : ce qui est le vice ordinaire de ceux qui pensent avoir quelque suffisance, outre la commune. » C’est-à-dire au-delà du sens commun, comme cette spécialiste de la psychiatrie vis-à-vis de Sasha et sa mère.

Une présomption inconsidérée, serait-ce là le mal qui ronge nos spécialistes du traitement - juste, vrai, scientifique[3] - de la dysphorie de genre ? Hélas, pas seulement eux, l’intolérance n’est pas la spécialité des neurologues et des endocrinologues. Sur ce sujet certains psychanalystes n’ont de leçons à recevoir de personne même s’il faut leur reconnaître une qualité d’importance : ils ont appris à écouter.

J’aurais envie de rappeler à l’équipe de l’Hôpital Robert Debré que la mère de Sasha s’alarme d’avoir désiré une fille, d’avoir étonnement choisi un prénom mixte pour cet enfant, d’avoir eu l’impression qu’en répondant « Mais non Sasha, tu ne seras jamais une fille » à son fils de quatre ans elle venait « de foutre sa vie en l’air » et « de le priver de tous ses rêves », mais je préfère laisser à Montaigne le soin de conclure à ma place tant je suis bouleversé par le destin d’un enfant dont des adultes s’emparent sans avoir laissé du temps au temps. C’est seulement à la fin du film que j’ai compris le « C’est le bon moment » inaugural de la psychiatre : sept ou huit ans, le bon moment pour réfléchir aux traitements hormonaux à venir.

Dans ce documentaire, l’enfance n’est plus le moment du fantasme et de l’imaginaire. Le « je voudrais être une fille » d’un Sasha de quatre ans y est confondu avec la volonté affichée de changer de sexe d’un adulte et j’en ai mal pour lui.

« La raison m’a instruit, que de condamner aussi résolument une chose pour fausse, et impossible, c’est se prétendre connaître les limites de la volonté de Dieu. (...) Et qu’il n’y a point de plus notable folie au monde que de les ramener à la mesure de notre capacité et suffisance » écrivait Montaigne à la fin du XVIe siècle.

Roch Du Pasquier

 

[2] Montaigne, « C’est folie de rapporter le vrai et le faux... », Essais, livre Ier.

[3] sur la question de la vérité scientifique voir Science sans conscience n’est que ruine de l’âme sur le blog du Copes.