Copes, formation pour les professionnels de l’enfance, de l’adolescence et de la famille

Elsa Waysfeld-Stora, Des séances au cabinet aux séances à distance, quelques réflexions.

Ma pratique de psychologue, psychanalyste en libéral s’est trouvée brusquement chamboulée par le confinement. Certains avaient déjà l’expérience de séances à distance mais pour des raisons très différentes et propres à chacun, souvent du fait d’une distance géographique qui ne permet pas des séances hebdomadaires. Personnellement je n’avais pas cette expérience, mais il me semble que la situation que nous vivons est de toute façon toute autre. Tous logés à la même enseigne, tous dans le même bateau, patients et thérapeutes confinés chez soi pour la même raison, partageant une même réalité. J’ai donc dû, comme tous mes collègues, proposer à mes patients des séances par téléphone, plutôt sans vidéo en ce qui me concerne, sans avoir bien souvent eu le temps de m’y préparer, sans avoir pu y réfléchir avec le patient et encore moins le choisir. Dans un premier temps, cette modalité de travail au téléphone a été très frustrante, donnant le sentiment de perdre quelque chose plutôt que d’en gagner.

Perte de l’ensemble des modalités relationnelles qui existent entre les humains ; l’ouïe, mais aussi, la vue, l’odorat, le toucher lors de la poignée de main de début et de fin de séance, perte du ressenti subjectif de chacun face à la présence corporelle de l’autre. Travailler au téléphone avec les patients a donc impliqué la perte de la transmodalité pourtant indispensable pour assurer une communication de qualité entre les humains. Pouvoir penser que la personne qui me parle, celle que je vois, celle que je sens, celle que je touche, est la même personne, fait partie des étapes fondamentales du développement du bébé. Cela implique une cohérence dans les messages, une harmonisation entre le ton de la voix, l’intensité du geste, la qualité des émotions non verbales.

Réduire la communication à la voix et donc à l’ouïe m’a dans un premier temps, donné l’impression d’un appauvrissement de la qualité sensorielle des échanges, m’obligeant à mobiliser une attention toute particulière comme pour compenser l’absence des autres sens. J’insiste sur la dimension sensorielle des échanges car cela n’a pas forcément appauvrit le contenu verbal de ceux-ci. Mais peut-on penser que la psychanalyse se suffit des mots ? L’analyste, même le plus orthodoxe, travaille-t-il juste avec les mots ? Pour ma part je ne peux concevoir cette pratique sans l’apport des autres sources sensorielles et il m’est apparu que ce changement de cadre a fait vaciller mes repères de travail. Comment retrouver une écoute sensible juste au téléphone ? Comment transmettre au patient notre écoute sans présence corporelle ? Je me suis rendu compte que cette attention particulière à ces questions impliquait également une autre gestion des silences, les miens comme ceux du patient, et également de mes interventions. Mais du coup il m’a semblé que ce nouveau dispositif pouvait également apporter quelque chose dans la mesure où il venait comme provoquer un effet loupe sur certaines questions que je ne me posais pas systématiquement. Ces questions sont d’ailleurs multiples et infinies et je n’en développe ici que quelques-unes qui se sont présentées à moi de manière massive dès le début. Le téléphone, certes, met à distance mais il rapproche aussi. Ainsi, il s’est aussi agi pour moi d’être attentive à la proximité permise par le téléphone, se parler à l’oreille comme pour se dire des secrets... entre le trop loin ou le trop proche, entre l’intime de la séance et le trop intime d’une intrusion, via l’oreille, dans le « chez soi » du patient ou de l’analyste. Ainsi une patiente a décidé de suspendre ses séances au téléphone, disant « c’est difficile à dire mais en fait je pensais arrêter les séances. J’en ressens les limites mais ça n’est pas contre vous c’est juste que je ne peux pas être sûre que vous êtes totalement disponible, qu’est ce qui me prouve que vous n’être pas en train de faire autre chose pendant que je vous parle ? ». Pouvoir retrouver la dimension rassurante, et pour nous et pour le patient, de notre cadre habituel, pouvoir trouver d’autres manières "d’être là » ; ce confinement me semble être une occasion nouvelle de toujours renouveler nos pratiques et notre manière de penser le travail clinique.

 

Elsa Waysfeld-Stora
Psychologue clinicienne, psychanalyste
Directrice de l’Usis, Cerep, Paris 14.