Copes, formation pour les professionnels de l’enfance, de l’adolescence et de la famille

Moïra Vassal, Il était une voix

Comment rendre vivant un IME confiné ?

 

Je suis arrivée à l’IME en avril 2019 engagée en tant que psychologue institutionnelle en vue de créer avec le médecin directeur et la cheffe de service un nouveau projet d’établissement, une toute autre façon de travailler où le soin, l’écoute analytique viendraient soutenir l’équipe éducative, donner la parole à la souffrance psychique de ces jeunes souvent peu soignés psychologiquement avant leur arrivée dans l’institution et enclencher ou réenclencher des suivis en CMP ou CMPP qui poursuivent l’accompagnement au-delà de leur prise en charge à l’IME.

Suite à l’élaboration de ce nouveau cadre de travail, je prends à la rentrée de septembre 2020, une place de psychologue clinicienne au sein de groupes thérapeutiques deux fois par semaine en plus de ma fonction institutionnelle.

Un groupe « Paroles » mené avec ma collègue psychologue et un groupe « Terres » que je modèle avec l’infirmière. Les psychologues ne font pas de suivis individuels.

 

Le confinement en mars 2020 va nous amener à tout repenser et à mettre en place des suivis téléphoniques d’abord éducatifs, scolaire puis de soins, relaxation par téléphone par la psychomotricienne et suivis psychologiques par le médecin directeur, ma collègue et moi. Jusqu’à la création d’emploi du temps individualisé pour chaque jeune (comme à l’IME) en fonction de son handicap, sa situation, sa connexion et ses outils (ou non) internet. Pour reprendre les mots du médecin directeur (1) nous avons créé une institution extracorporelle ; loin des corps mais faisant corps… à bien y réfléchir cette nouvelle institution est supercorporelle…

 

(1)texte Armelle Cadoret –« un cadre de pensée extracorporelle »aepea.org

 

 

Ces soutiens téléphoniques vont s’avérer passionnants pour bon nombre des jeunes de cette institution et leurs parents et sous tellement d’angles différents qu’il faudrait écrire longuement pour chacun d’eux. Écrire à plusieurs voix, chacun de sa place, de sa fonction en résonnance, en tissage pour théoriser la subjectivation naît de ses suivis à distance et si proches à la fois….

 

En effet, en fonction de la pathologie (autistique, psychotique, abandonnique…), de l’histoire familiale, de l’histoire du lien aux soignants (consultants, thérapeutes, éducateur d’AEMO…), ces suivis téléphoniques menés par le médecin directeur, les psychologues, les éducateurs référents, les consultants CMPP, les thérapeutes des hôpitaux de jour, l’enseignant ont une portée insoupçonnée et passionnante.

Ils permettent, ainsi, dans certains cas de remobiliser le jeune, ses parents, l’équipe soignante institutionnelle et extérieure, forçant la mise en lien du fait de la « décorporéisation ». Bref, je le redis, ils nous obligent à faire corps, à faire « esprit de corps » qui fonde le sentiment d’appartenance à une même entité.

 

Ces « coups de fil » que nous avons craints trop intrusifs, trop « maltraitants » en ces temps si douloureux de confinement, s’avèrent bien souvent un « fil » sacrément liant et conducteur ! Conducteur de chaleur… D’une chaleur humaine si nécessaire dans la froidure de la disparition des corps, des morts décomptés chaque jour.

 

En fait, nous n’arrivons pas chez eux quand nous les appelons de chez nous parce que nous avons pensé l’institution hors les murs, riches de l’élaboration toute jeune et fraîche de notre cadre de travail et farouchement incapables d’en faire le deuil au non de ce confinement !

 

L’institution, profondément heurtée et mise en danger les premiers jours du confinement, est retombée avec souplesse sur ses pattes comme le chat de Djinn du fait de la jeunesse de son cadre qui n’en faisait pas une « institution à risque » pour ce virus ravageur et friand d’organismes fatigués.

Ainsi, quand nous appelons les jeunes et/ou leurs parents chez eux de chez nous, une fois les lignes accordées, nous nous parlons de l’IME, du CMPP…

Parce que nous avons l’institution dans l’oreille chacun de notre côté.

L’oreille fait lien et lieu.

Et nos mains aussi, du fait de nos écrits hebdomadaires.

 

Chaque fin de semaine, en effet, chacun de sa place, médecin directeur, psychologues, psychomotricienne, éducateurs, nous faisons un compte-rendu écrit de nos appels aux jeunes, ou aux parents.

J’ai choisi de rapporter aussi simplement que possible mes échanges avec les jeunes, émaillés de dialogue, afin de rendre mes écrits accessibles et vivants pour soutenir le travail d’écriture des éducateurs peu habitués à cet exercice.

Car écrire, c’est se livrer dans ses fautes… d’orthographes, de syntaxe… c’est révéler son milieu ou son échec scolaire parfois qui mettent du sens à notre vocation de soignant d’enfants troublés.

C’est la psychomotricienne qui écrit dans ses comptes rendus, les respirations et leurs rythmes, des jeunes en relaxation téléphonique qui m’a donné cette idée.

Faire entendre le souffle…. J’ai été tellement émue d’entendre le souffle de ces jeunes confinés et interdits de soins en présentiel que j’ai eu besoin de faire entendre leur parole en retranscrivant des morceaux choisis de nos échanges.

 

Cet écrit vient d’un « appel à témoignage » et J’aurais aimé vous faire écouter mes échanges, vous faire « écouter mes notes » mais se serait oublier le secret, ce trésor qu’est le secret dans notre pratique ; ce mur infranchissable confinement ou pas.

Ce mur-là est étanche : pas d’onde, pas de ligne téléphonique, pas de vidéo.

Témoigner n’est pas trahir.

Notre institution s’est ouverte aux nouvelles technologies pour continuer d’exister auprès de ces jeunes en souffrance mais ses murs sont toujours là qui nous attendent dans le silence et le vide.

Le déconfinement s’annonce, les portes vont s’ouvrir mais pas celle du trésor !

Il m’a fallu écrire dans le silence, fermer mon téléphone, pour le retrouver car au départ, ce témoignage, je l’avais titré « journal d’un Djinn ».  Il était joli ce journal… Fait de mes échanges téléphoniques avec cet adolescent que j’ai surnommé Djinn.

J’ai voulu vous faire entendre sa voix tant je me suis inquiétée pour lui, tant, avant même le confinement, du fait de son histoire, cet adolescent disparaissait pendant des semaines et nous n’avions aucun moyen, aucune technologie pour le joindre.

Ce « Corona Minus », titre de la BD créée pour et par les jeunes et une éducatrice qui circule dans la Gazette alimentée par les adolescents et les professionnels, diffusée par mail ; ce corona minus donc aura permis à Djinn de faire quelque chose de ses disparitions. Le fait de ne pas se voir permet à la disparition de se parler, se travailler.

 

En effet, ces suivis psychologiques sont à entendre comme un cadre de travail et je vous renvoie au texte de René Roussillon « Langage du cadre et le transfert du cadre ».

 

Ces séances téléphoniques aux heures des groupes thérapeutiques de l’IME, jour fixe, heure fixe et cet interdit du toucher, cette distance rassurante, apaisante posée par le téléphone à la différence de l’ébullition d’excitation présente en groupe à l’institution sont le cadre d’un vrai travail mutatif.

 

La pensée de Djinn devient de plus en plus associative, il s’entend, s’écoute parler dans mes silences, dans mes relances et peut ainsi travailler enfin dans une continuité symbolisée par la ligne téléphonique. Ses angoisses psychotiques l’envahissent moins et il peut reprendre le chemin des apprentissages.

 

René Roussillon nous dit : « La motricité et la perception sont ainsi suspendues par la structure même de la situation : La symbolisation cherche à s’abstraire de la motricité, elle est acte interne, en représentation, « déménagement », c’est à dire métaphore pour les grecs. Elle cherche à s’abstraire de la perception, elle est insight, regard sur les représentation internes. (…) On symbolise en parlant, et seulement en parlant.(…). La symbolisation est symbolisation de l’absence, en l’absence de l’objet, ou du moins dans une capacité d’être seul en présence de l’autre ».

 

Et Djinn n’est pas le seul qui semble profiter de ce nouveau cadre de pensée, d’élaboration, de symbolisation.

 

Il y a aussi Fousseini, pour qui autisme et traumatismes familiaux entrent enfin en résonnance dans le fracas des coups qu’il donne contre les portes. Les séances téléphoniques de l’IME, du CMPP, mises en commun en réunions, elles aussi téléphoniques, nous permettent d’entendre au-delà des clivages mélancoliques parentaux, l’attente de ce tout jeune adolescent d’accéder à son histoire, à l’origine du regard troublé, vide et triste de sa mère. Fousseini parle enfin, raconte, demande à être mis en lien et ses parents désemparés deviennent plus accessibles.

 

Gaston, au corps si frêle, malingre, disharmonieux qui se colle aux murs de l’institution comme une feuille plaquée par le vent lors des moments orageux ; depuis le confinement, protégé de tout regard sur ce corps si handicapé, se montre d’une maturité et d’une pertinence surprenante au bout du fil.

 

Toutankhamon, presque majeur et incapable de lire et d’écrire quoique très futé, embourbé dans une paranoïa bien invalidante, se met à lire tous les soirs le livre de lecture de sa petite sœur et parvient à se reconnaître de tout petit progrès ; lui, qui du haut de sa pyramide de toute puissance fuyait le savoir comme la peste.

 

Ce confinement est venu forcer la capacité d’être seul de ces jeunes et la nôtre aussi !

Nous avons craint de les abandonner en fermant les portes de l’institution et nous avons tellement entendu leurs angoisses d’abandon au téléphone la première semaine !

La créativité de toute l’équipe pour maintenir, recréer le lien individuel d’abord puis de plus en plus groupal (atelier BD, Gazette, groupe visio de cuisine, d’anniversaire, padlet…) est venue accompagner cette capacité à être seul avec nous.

Et pour les plus fragiles, le soutien psychologique téléphonique est venu soutenir l’énorme effort de symbolisation de l’absence imposé par le confinement.

On pourrait écrire encore, au-delà de la pénibilité d’être confiné, sur les effets bénéfiques de la mise à distance des corps pour certains de ces adolescents, mise à distance de l’excitation de la rencontre permettant un retour sur soi et un accès plus apaisé à la symbolisation tel ce jeune autiste qui s’est mis à écrire des poèmes à son éducateur…

 

Le 11 mai approche et il nous faut surmonter de nouvelles angoisses, de nouvelles peurs. Comment faire avec la peur de se retrouver !?

À suivre…

Moïra Vassal
Psychologue clinicienne et institutionnelle
IME Cerep-Phymentin
Pratique libérale – Paris IX