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La poursuite des thérapies familiales systémiques : la création du Mental Research Institute

Le dixième article de la Saga sur la thérapie familiale écrit par Roch Du Pasquier

Roch du Pasquier est psychologue clinicien, psychothérapeute et formateur au Copes concernant la pratique de la thérapie systémique. Il écrira un article par mois pour Scope, le blog du Copes, dont celui-ci est le dixième. Le sujet de cette rubrique mettra en lumière la thérapie systémique, tant par son histoire que par ses concepts.

 

 

 

La poursuite des thérapies familiales systémiques : la création du Mental Research Institute

 

 

Reprenons l’histoire de l’école de Palo Alto commencée en septembre…

Il était une fois, au début des années 50, Gregory Bateson. Il mettait en évidence des aspects nouveaux du langage verbal et non verbal et il abordait la maladie mentale autrement. Il obtenait un financement, de jeunes chercheurs le rejoignaient, ils s’installaient dans un hôpital pour anciens combattants proche de Palo Alto où ils croisaient de nombreux schizophrènes.

En 1959, Bateson, désintéressé par les maladies mentales, quittait l’équipe. Il devait avoir ses raisons, peut-être que son histoire infantile venait résonner trop fortement avec la folie des pensionnaires (1) ? La résonance, voici déjà de quoi poursuivre !

 

Don D. Jackson reprenait les rènes de l’équipe et il fondait le M.R.I, le Mental Research Institute. La suite de l’histoire nous est racontée dans les pages du Panorama des thérapies familiales (2).

Vous savez que sur notre planète systémique le système est considéré en entier, pas seulement le patient désigné par son symptôme. Vous savez aussi que nous nous préoccupons plus des interactions entre les membres du système que de leurs passés et de leurs histoires individuelles. D’ailleurs, sur cette planète, l’histoire individuelle, qu’est-ce que ça veut dire ? Peu importe l’origine du problème, racontent les thérapeutes Wittezaele et Garcia, le fait essentiel est qu’il se produise « ici et maintenant », et c’est cette structure actuelle qu’il faut modifier. Plus loin ils précisent encore les préjugés du M.R.I : Toute la difficulté consiste donc à ce que les membres du système se comportent différemment pour modifier les interactions de telle manière que le symptôme devienne inutile ou inadéquat. Il faut accorder plus d’attention à ce que les personnes font plutôt qu’à la façon dont elles interprètent leurs actions.

- C’est tout ? Seulement ça ?

- Oui et non, mais ce n’est que le début et c’est déjà un apport capital de l’équipe du M.R.I ! À partir de là ils y regardent de plus près, ils enregistrent, ils filment les entretiens. Ils osent pénétrer dans la sacro-sainte relation thérapeutique qui était fondée sur l’intimité et le secret. Le thérapeute devient l’acteur du changement, le metteur en scène du drame familial dira le romain Maurizio Andolfi plus tard.

 

En 1960, invité par Jackson, Paul Watzlawick arrivait pour quelques semaines à Palo Alto. Il y restera toute sa vie. L’équipe du M.R.I cherchait à bâtir sa nouvelle théorie du changement avec les concepts systémiques comme le double bind, l’homéostasie et la provocation, les techniques de recadrage. L’influence du psychiatre Milton Erickson planait sur la petite équipe. Il développait une nouvelle forme d’hypnose et plusieurs membres de l’équipe le rencontrait à Phoenix. Ils s’orientaient vers des interventions stratégiques de courte durée avec un objectif précis. Fisch, un psychiatre new-yorkais, venait d’arriver, il allait bientôt impulser un nouveau projet, le Centre de thérapie brève (C.T.B).

En 1967 le M.R.I traversait sa première crise de désenchantement. Était-ce la fin d’une belle utopie ? L’argent manquait dans les caisses. Jay Haley partait rejoindre Salvador Minuchin à Philadelphia (un autre personnage important dont il faudra parler). La directrice Virginia Satir démissionnait. Don D. Jackson mourrait en 1968.

Watzlawick, Weakland et Fisch poursuivaient leurs travaux au C.T.B. Comment formaliser le changement ? se demandaient-ils. Le Centre de thérapie brève oscillait sans cesse entre l’adhésion aux principes systémiques et le désir de formaliser l’art des praticiens, notent Wittezaele et Garcia dans leur article. C’est bizarre, n’étaient-ils pas complètement devenus des systémiciens ? Ou alors pourquoi imaginer que « l’art des praticiens » vienne s’opposer aux « principes systémiques » plutôt que de les servir ? Une pratique en lutte contre des principes et des principes qui n’avaient pas encore trouvé à s’incarner dans la pratique, cela mettra quelques décennies…

Le C.T.B était un projet de recherche, il avait une contrainte de temps et de méthode. Pour qu’une comparaison soit possible entre les cas l’équipe décidait de se limiter à dix entretiens. Ils savaient que ce temps serait insuffisant mais ils cherchaient à amorcer une évolution favorable. Le thérapeute se fixait un objectif minimal réaliste, les questions de diagnostic étaient abandonnées, il n’était plus obligatoire de recevoir toute la famille ensemble. Les tendances homéostatiques ne peuvent-elles pas être utilisées avec plus d’efficacité si l’on choisit de travailler avec la ou les personnes les plus motivées par un changement ? se demandait l’équipe qui recherchait le meilleur levier du changement. Bien évidemment, il y aurait encore beaucoup à dire, mais si cela vous passionne vous lirez Panorama entre les pages 173 et 212. Une petite remarque : du choix arbitraire des dix séances est née toute une vogue des thérapies brèves qui promettent le changement en dix séances maximum, bien loin de la prudence des chercheurs de Palo Alto qui ne prétendaient qu’amorcer une évolution.

 

Après Une logique de la communication, Paul Watzlawick et ses nouveaux collègues publiaient Changements (3). Né de la poursuite de leurs recherches, ce petit texte pragmatique et bourré d’humour était une pépite. Il se vend aujourd’hui sept euros et quelques centimes. Et puis, si nécessaire, vous y trouverez la solution au problème des 9 points de la rubrique de mai à la page 46.

 

Je m’étais juré de faire court, il est temps de conclure ! Et puis il fait une chaleur torride, nous venons de passer d’un climat tempéré à subsaharien. Cela m’épuise et vous aussi je présume. « Docteur Livingstone, I presume ? » Voici que l’apostrophe célèbre me tombe dessus comme la hausse des températures, pourtant nous ne sommes ni en 1871 ni au bord du lac Tanganyika, ce doit être la fatigue… Peut-être que ça vient dire que c’est la relation qui est la plus importante, même retiré loin du monde, lorsque l’on croit reconnaître un ami ? Voyage ou pas en perspective je vous souhaite de bien profiter de vos vacances. Cette chronique reprendra en octobre, quelques semaines avant la fête des morts, ce sera l’occasion de vous parler des thérapies transgénérationnelles.

 

Roch Du Pasquier

 

1 L’école de Palo Alto, cf la première rubrique.

2 « L’approche clinique de Palo Alto », in Panorama sous la direction M. Elkaïm(1995), Seuil.